K2B Graff : De l'or au bout des doigts
Publié le 28 mars 2024
Fanny, alias K2B Graff, voit son talent de graffeuse reconnu dans tout l’hexagone et au-delà. Récemment, la Tréportaise a réalisé les portraits des 23 membres du groupe Manouchian. Inaugurés quelques heures avant l’entrée de Missak Manouchian au Panthéon, ils trônent à Paris dans la rue du même nom.
« Quand j’étais élève au collège du Tréport, un voyage scolaire a été organisé en Martinique. À l’époque, je n’avais même pas donné la documentation à mes parents. C’était coûteux. Je pensais que je n’aurais peut-être jamais l’occasion de réaliser de tels voyages ».
À ce moment-là, Fanny ne savait pas qu’elle avait de l’or au bout des doigts et que cela pourrait la mener loin. Pourtant, elle s’essayait déjà au graff. Avec une maman, Sylvie, qui ne rechignait pas à s’emparer d’un crayon, et un oncle tatoueur et auteur de couvertures pour fanzines, elle était à bonne école.
« C’est à cette période que j’ai trouvé une ou deux bombes de peinture dans le garage et que j’ai réalisé mes premiers essais… Papa n’était pas très content », sourit-elle. Employé municipal et chef de corps des pompiers du Tréport, Jean-Pierre est un pragmatique qui observe alors la tentative de sa fille d’un œil circonspect.
Une passion d’ado
Fan de hip-hop et de tout l’univers qui entoure ce courant, Fanny persiste, mais sans envisager d’aller plus loin. « C’était une passion d’ado, rien de plus », se souvient-elle.
Quelques années plus tard, elle passe quelques semaines sur les bancs de la faculté d’arts d’Amiens. L’enseignement trop théorique au goût d’une jeune fille de 18 ans l’amène à changer de voie de manière radicale. Elle s’engage alors dans des études de droit avec, pour dessein, de s’orienter vers une profession aux antipodes de sa passion : avocate.
La vie en a décidé autrement et, de retour au Tréport, elle retrouve ses amis restés fidèles à leurs sprays de peinture. Le goût pour la création ressurgit vite, à tel point que Fanny envisage de vivre de son art. K2B (pour Coup de Bombe) devient son nom d’artiste. Mais avant de l’imposer, il faut passer par un chemin semé de contraintes et de compromis, travailler à la commande en se pliant aux desideratas des clients. C’était en 2015, lorsque Fanny a créé son entreprise.
Aujourd’hui, le chemin parcouru est remarquable. La jeune femme s’est fait un nom dans toute la France et au-delà. Elle est invitée dans des festivals et des commandes de plus en plus importantes lui sont passées. « J’ai dénombré 600 fresques réalisées en 12 ans. Au fil du temps, elles sont moins nombreuses, mais plus grandes », explique l’artiste qui a conçu récemment une fresque de 160 m2 au stade universitaire du Mans. « Je laisse une trace », sourit-elle.
Laisser une trace
Laisser une trace, c’est l’origine même du graff, inventé par les habitants des ghettos désireux de marquer leur passage dans les villes de la manière la plus voyante possible. « Je fais la même chose… le vandalisme en moins », se réjouit-elle. Elle le pratique surtout avec beaucoup de talent.
Car, si à ses débuts, ce sont ses premiers clients qui ont guidé son travail, désormais, avec la finesse qui caractérise sa personnalité et ses œuvres, c’est elle qui les oriente et les conseille pour aboutir à une création qui les ravira, sans renier sa personnalité.
« Je ne suis pas la seule à privilégier la réalisation de portraits, mais j’ai mon identité et c’est cela qui fonctionne », explique-t-elle. « Sur un sujet imposé, qui ne me correspond pas forcément, je vais en profiter pour apprendre, pour affiner ma technique. C’est un entraînement qui me sera profitable plus tard, pour une autre création », assure Fanny.
Très touchée par le groupe Manouchian
Mais ce sont surtout les rencontres qui nourrissent son travail. Celles avec les membres de l’association « L’affiche verte Manouchian » en fait partie. C’était en novembre dernier. « Les membres de cette association voulaient réaliser les portraits des 23 membres du groupe Manouchian sur autant de grandes jardinières installées dans une rue du XXe arrondissement de Paris. Ils avaient vu mon travail, les portraits de femmes à Elbeuf notamment. Le délai était court, et puis j’avais d’autres projets, mais la découverte de l’histoire de ces vingt-deux hommes et de cette femme m’a convaincue. Je ne pouvais pas passer à côté. L’association m’a fourni beaucoup de documents. Je m’en suis imprégnée. Étant moi-même petite-fille d’immigré, j’ai été très touchée par le parcours de ces personnes, toutes jeunes, venues de l’étranger et qui se sont sacrifiées. Aujourd’hui, beaucoup de Français viennent de l’étranger ou ont des ascendances étrangères. Ils sont Français et fiers de l’être et de porter les couleurs de leur pays. Mais il leur arrive trop souvent d’être pointés du doigt. Rendre hommage à chaque membre du groupe Manouchian avait un vrai sens pour moi ».
Fanny n’a pas voulu seulement peindre des visages. Elle a dépeint les âmes. « J’avais fait un résumé de l’histoire de chacun. Pendant la réalisation des premiers portraits, j’ai pleuré. C’était difficile. Je me suis attachée à chacun d’entre eux. Pendant ces semaines de travail, ils ont, d’une certaine façon, fait partie de ma famille, une famille dont chacun des membres apparaissait au fur et à mesure dans mon salon, puisque je réalisais un portrait chaque jour et que je les disposais chez moi ». D’une certaine façon, Fanny a recréé « L’armée des ombres ».
Le talent s’exporte
Le 8 mars, cette famille d’adoption a pris la route pour Paris où elle a été préparée et installée pour l’inauguration de cette réalisation en présence des autorités, quelques heures avant l’entrée au Panthéon de Missak et Mélinée Manouchian.
« Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes », a écrit Louis Aragon dans la chanson « L’affiche rouge », en référence à l’affiche placardée par les nazis en 1944. Grâce à Fanny, ces portraits aujourd’hui placés à la vue de tous rendent au groupe, l’hommage que ses membres méritent.
Le travail de K2B Graff peut être suivi sur son compte Instagram.
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